Le bout de la rue.
A langle, il a donc fallu que lon se sépare. Jattendais sa bise. Elle sest pressée de manière inhabituelle contre moi. Son sein contre mon bras, elle sétait mise sur la pointe des pieds pour membrasser. Je suis grand et elle un peu petite. Je me sentais très surpris déprouver à un tel point la réalité de son existence, à travers la résistance de son corps. Ainsi, était-elle palpable. On entendait la douce musique des tessons de bouteille emportés par leau des égouts, le long du macadam, et même des grillons égarés dans le jardin de Belleville. Tôt le matin, en été, on peut même entendre des mouettes ! Là, cétait vraiment trop tôt, et aucun pécheur à lhorizon, cela va sans dire !
Je rentrais chez moi, maussade parce que sans espoir, pour
lire ou faire nimporte quoi. Dans le hall, qui empeste les vieilles poubelles
entassées dans un local contigu pas du tout calfeutré, deux jeunes filles ou
femmes essayaient de récupérer quelque chose dans la boite aux lettres. Elles
me demandent si jai un « truc » pour récupérer du courrier quand on a perdu sa
clef. Jy mets un peu la main histoire de dire et me décourage assez vite en
vérité. Je les regarde surtout du coin de lil, en arborant une gueule
renfrognée qui se veut quand même aimable sur les bords. Elles attendent en
vain une aide du destin qui ne ma, naturellement, pas plus favorisé quelles.
Elles ont la peau bronzée et la chevelure opulente. Je bave. Me sentant obligé
den rajouter je leur demande si elles ont un double des clefs. Je le regrette
aussitôt. Elles lauraient bien évidemment déjà utilisé ce fameux double sil
avait toutefois existé. Je me sens con ce qui nest pas rien. Lune jette que
cela doit être ses cours du CNED dont elle aurait justement besoin. Je
méclipse après quelques formules élégantes et polies qui nont pas le même
poids que si javais subtilisé à la vigilance de la boite le paquet de cours
tant désiré.
Je
retourne au néant
Au 6ème, sans ascenseur, dans une cage à lapin qui résonne
des multiples fuites qui singularisent mes canalisations. Je nai rien à faire.
Je devrais dormir. Mais je lis sur un matelas qui repose à même le sol sans
être payé pour. Et au lieu de comprendre ce que je lis, je passe les pages en
pensant que jaurais pu être plus aimable avec mes voisines, que jaurais pu
vanter ironiquement nos doigts de fée ou au moins parler du beau temps. A 4
heures du matin ça aurait pu être drôle. Lassé de poursuivre encore dautres
mots, je subodore une attaque de ma thyroïde et me palpe. Ca a quelque chose de
pitoyable ; ce gars se touche le cou parce quil pense manquer cruellement
dagressivité dans une société qui en demande une sacrée dose. Il accuse un
dérèglement hormonal. Cest moi et mon système nerveux à la recherche de la
faille dun corps à la dérive, comme tant dautres, au loin dans une mer
infinie, qui nen finie pas den montrer sa matière fluctuante et égale. Et, ce
corps coule irrémédiablement avec ses certitudes. Il aimerait tant que quelque
chose reste à la surface pour toujours, une âme, enfin nimporte quoi qui
subsisterait également à lespace infini auquel il participe. Nom dun chien,
dîtes moi, non pas des mots doux, mais lhistoire dune pensée qui ne serait
pas que la vaine agitation de quelques neurones.
Sans
déconner, faites moi philosophe, aveugle et bercé de dualisme et autre
transcendance qui me convaincraient dune dignité quelconque à vivre non pas
pour entasser quelques souvenirs pour moi seul
Le téléphone interrompt ce
songe qui démontre, sil le fallait encore, que je ne suis ni poète ni
philosophe.
Il fallait livrer ce saligaud de Robert, il faut bien
vivre puisque nous ne savons pas faire autre chose que ça. Ce sale coup me fit
oublier le bout de la rue où jai laissé senvoler lêtre que jaurais pu
aimer, hélas !