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la_machine_a_ecrire

2 juin 2004

Le bout de la rue.



Elle m’avait dit : « je te raccompagne jusqu’au bout de la rue ». J’aurais voulu le bout du monde, ou au moins la promesse d’un tel horizon. On a beau savoir ce que valent de tels engagements… On en désire pourtant. On y a été au bout de cette satanée rue. Toujours le même trottoir, si mal éclairé, à l’ombre des immeubles qui engloutissent notre faible lumière.

A l’angle, il a donc fallu que l’on se sépare. J’attendais sa bise. Elle s’est pressée de manière inhabituelle contre moi. Son sein contre mon bras, elle s’était mise sur la pointe des pieds pour m’embrasser. Je suis grand et elle un peu petite. Je me sentais très surpris d’éprouver à un tel point la réalité de son existence, à travers la résistance de son corps. Ainsi, était-elle palpable. On entendait la douce musique des tessons de bouteille emportés par l’eau des égouts, le long du macadam, et même des grillons égarés dans le jardin de Belleville. Tôt le matin, en été, on peut même entendre des mouettes ! Là, c’était vraiment trop tôt, et aucun pécheur à l’horizon, cela va sans dire !

Je rentrais chez moi, maussade parce que sans espoir, pour lire ou faire n’importe quoi. Dans le hall, qui empeste les vieilles poubelles entassées dans un local contigu pas du tout calfeutré, deux jeunes filles ou femmes essayaient de récupérer quelque chose dans la boite aux lettres. Elles me demandent si j’ai un « truc » pour récupérer du courrier quand on a perdu sa clef. J’y mets un peu la main histoire de dire et me décourage assez vite en vérité. Je les regarde surtout du coin de l’œil, en arborant une gueule renfrognée qui se veut quand même aimable sur les bords. Elles attendent en vain une aide du destin qui ne m’a, naturellement, pas plus favorisé qu’elles. Elles ont la peau bronzée et la chevelure opulente. Je bave. Me sentant obligé d’en rajouter je leur demande si elles ont un double des clefs. Je le regrette aussitôt. Elles l’auraient bien évidemment déjà utilisé ce fameux double s’il avait toutefois existé. Je me sens con ce qui n’est pas rien. L’une jette que cela doit être ses cours du CNED dont elle aurait justement besoin. Je m’éclipse après quelques formules élégantes et polies qui n’ont pas le même poids que si j’avais subtilisé à la vigilance de la boite le paquet de cours tant désiré.

Je retourne au néant… Au 6ème, sans ascenseur, dans une cage à lapin qui résonne des multiples fuites qui singularisent mes canalisations. Je n’ai rien à faire. Je devrais dormir. Mais je lis sur un matelas qui repose à même le sol sans être payé pour. Et au lieu de comprendre ce que je lis, je passe les pages en pensant que j’aurais pu être plus aimable avec mes voisines, que j’aurais pu vanter ironiquement nos doigts de fée ou au moins parler du beau temps. A 4 heures du matin ça aurait pu être drôle. Lassé de poursuivre encore d’autres mots, je subodore une attaque de ma thyroïde et me palpe. Ca a quelque chose de pitoyable ; ce gars se touche le cou parce qu’il pense manquer cruellement d’agressivité dans une société qui en demande une sacrée dose. Il accuse un dérèglement hormonal. C’est moi et mon système nerveux à la recherche de la faille d’un corps à la dérive, comme tant d’autres, au loin dans une mer infinie, qui n’en finie pas d’en montrer sa matière fluctuante et égale. Et, ce corps coule irrémédiablement avec ses certitudes. Il aimerait tant que quelque chose reste à la surface pour toujours, une âme, enfin n’importe quoi qui subsisterait également à l’espace infini auquel il participe. Nom d’un chien, dîtes moi, non pas des mots doux, mais l’histoire d’une pensée qui ne serait pas que la vaine agitation de quelques neurones.

Sans déconner, faites moi philosophe, aveugle et bercé de dualisme et autre transcendance qui me convaincraient d’une dignité quelconque à vivre non pas pour entasser quelques souvenirs pour moi seul… Le téléphone interrompt ce songe qui démontre, s’il le fallait encore, que je ne suis ni poète ni philosophe.

Il fallait livrer ce saligaud de Robert, il faut bien vivre puisque nous ne savons pas faire autre chose que ça. Ce sale coup me fit oublier le bout de la rue où j’ai laissé s’envoler l’être que j’aurais pu aimer, hélas !

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1 juin 2004

la main



Je lui demande sa main. Elle me la donne sans rechigner. Je veux dire qu'elle me la donne VRAIMENT.

Non, plutôt…

Je lui prends la main. Dans un de ces élans si désespéré que la grande vitesse peut changer en courage. Alors que ce n'est qu'un acte dû à la consternation. De se voir capable de le faire. Et elle me la donne sans rechigner. Je veux dire qu'elle me la donne VRAIMENT.

Non, plutôt…

Nous marchons la main dans la main. Nous divaguons, heureux de flâner un soir dans Paris, le long de la Seine. On parle. On a des inspirations. A deux. Et des expirations aussi. Tous les deux. QUE tous les deux. Des coïncidences se dégagent. Le ciel aussi. La main dans la main, nous avançons. On va, le long de la Seine, mais vers le futur aussi. Aurons-nous des enfants qui auront à leur tour des enfants ? Cette lune dans le ciel scelle-t-elle la fin de la faim de nos vies ?

Oui, c'est comme ça que ça se passe…

Il n'y a plus de métro et nous rentrons ensemble. Nous sommes « bien obligés » et l'on en rit. La main dans la main. On ne regarde pas en arrière. On discute de tout de rien. Comme c'est facile. On pense la même chose. Quand on s'aime. Même les silences ne pèsent rien. On joue à cache-cache dans les immeubles qui longent le fleuve. Un ciel bleu électrique nous éclaire. On rit. On jouit du présent en pensant au futur. On ne pense même pas au présent. Alors le passé… Avant, on n'a jamais aimé. On ne sait pas. On ne peut pas savoir. On n'imagine même pas, qu'il peut y avoir une fin.

Oui, c'est bel et bien comme ça que ça se passe…

Maintenant on sait. Alors c'est différent. On sait qu'il y aura une fin. Que tout a une fin. Que tout est défini, clôturé… déterminé. On aime encore. Et encore une autre fois. Mais…

Non, plutôt…

On marchait la main dans la main et l'on ne regardait pas derrière - nous. On a marché jusqu'ici. On a marché jusqu'à aujourd'hui et je tenais ta main… SEULEMENT ta main.

Non, à toi aussi ; je tenais à toi aussi…

Mais tu es restée le long du fleuve, il y a une éternité. J'ai gardé ta main, dans l'espoir d'un jour pouvoir te la rendre.


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